Monsieur le Maire,
Puisque vous avez fait de ce rapport développement durable un véritable catalogue fourre-tout de l’ensemble des politiques publiques que vous menez, permettez-moi de faire une critique globale de cette politique et de ses conséquences pour la ville, ce qui sera autrement moins pénible que de commenter votre liste à la Prévert.
Et laissez-moi vous dire en préambule que ce qui m’anime à la lecture de ce document, comme citoyenne qui compare les ambitions et les résultats qu’elle voit, c’est avant tout la colère et la déception.
L’essence de votre politique, c’est celle de la « ville du quart d’heure », inspirée de l’exemple de Paris. Elle avait pour ambition de rapprocher les services de chaque habitant tout en réduisant l’impact environnemental de la circulation automobile. Mais dans les faits, ce concept mal appliqué a accentué les inégalités et l’isolement des quartiers périphériques tandis que le centre-ville lui-même se dévitalise.
Loin d’un « vivre ensemble » harmonieux, nous assistons à une sorte de « vivre entre soi » qui laisse les quartiers extérieurs en marge. Dans ces quartiers, les habitants se sentent abandonnés, démunis face au manque de services et de ressources, avec une pauvreté et une insécurité qui ne cessent d’augmenter. Nous avons tous lu le Dauphiné Libéré ce matin avec une pleine page consacrée à la Villeneuve, avec le témoignage d’habitants qui ne font que confirmer cet abandon.
Ces habitants, eux aussi, ont besoin de soutien, de moyens, et de la présence d’élus qui les écoutent. Mais au lieu de répondre à leurs besoins, vous semblez concentrer les moyens publics vers certaines associations et structures, toujours les mêmes, sans jamais s’interroger sur les résultats de ce qu’on finance en boucle depuis des années.
Sans jamais vous dire qu’il faudrait peut-être revoir la méthode, rééquilibrer la ville en implantant des services municipaux et métropolitains ailleurs qu’en plein centre, revoir notre politique de création et d’attribution de logements pour enrayer la paupérisation, redonner des moyens d’agir aux structures d’éducation populaire indépendantes en rompant avec votre volonté de tout municipaliser.
Même ce centre-ville, que vous aviez voulu mettre en avant, ne reflète en rien l’utopie promise. Les commerces ferment les uns après les autres, et les Grenoblois eux-mêmes ne prennent plus plaisir à flâner dans des rues devenues sales. L’incantation selon laquelle le piéton serait roi se heurte aux trottinettes, vélos, véhicules Uber et de services de livraison en tout genre. C’est une ville défigurée par les incivilités et un sentiment croissant d’insécurité qui découragent toute promenade ou vie de quartier.
Je ne développe pas sur la désertification commerciale du centre, fruit du manque d’attractivité et d’accessibilité, qui entretient à son tour le manque d’attractivité dans un cercle vicieux. Je suis attérée de voir l’adjoint au commerce jouer les gros bras face à Neyrpic en menaçant de poursuites, ce qui ne résoudra rien, alors que ville et métropole auraient tant de leviers d’actions que vous refusez de saisir, que ce soit la politique de stationnement, de propreté, de lutte contre l’insécurité, de soutien à l’offre commerciale avec un développement des moyennes surfaces commerciales, des îlots de commerces, un travail sur la visibilité de ces commerces dans l’espace public…
Le désordre et le déclin ne sont pas une fatalité, nous pouvons retrouver une ville conviviale et inclusive. Il est ici question de choix, de priorités, et les vôtres semblent tourner davantage vers des ambitions politiques personnelles que vers l’intérêt général. À force de vous concentrer sur ce qui relève de la communication pour vos vues nationales et métropolitaines, vous oubliez que les Grenoblois ont besoin de vous ici et maintenant.
Vous affirmez que le déclin des centres-villes et l’augmentation de la délinquance sont des phénomènes inévitables, une fatalité que vous semblez accepter comme un constat immuable. Mais ce n’est pas une fatalité – c’est avant tout une question de volonté de changement. Si vous vous en sentez incapable, si tout ce que vous faites n’est qu’énoncer des constats, alors il est évident que vous n’êtes pas à votre place et que vous n’apportez rien aux Grenoblois. Vous n’avez ni idées ni envie d’innover. Dans ce cas, laissez la place à des personnes qui ont les ressources, l’énergie et le courage de combattre pour cette ville. Car votre bilan après 10 ans parle pour vous.
Vous vouliez une ville inclusive ? Vous nous laissez une ville paupérisée, avec 20% des Grenoblois sous le seuil de pauvreté, jusqu’à 30% pour les moins de 30 ans. La fracture n’a jamais été aussi béante entre le Grenoble qui va bien et celui qui souffre. Le taux de chômage atteint désormais 15%, supérieur de 4 points à la moyenne départementale. Voilà pour les piliers sociaux et économiques du développement durable, car il faut bien y revenir puisque c’est censé être le sujet de ce rapport.
Vous promettiez une ville verte ? Vous avez fait l’inverse avec une politique d’urbanisme basée sur la densification à outrance, qui nous a propulsé première ville pour les îlots de chaleur. En matière de pollution, loin de vos cocoricos, vous n’avez pas plus réduit les expositions aux polluants que la moyenne régionale et nationale. Voilà pour le pilier environnemental.
Monsieur le Maire, il est encore temps de réévaluer vos priorités, de faire preuve de considération pour tous les Grenoblois, et de bâtir une ville réellement équitable et vivable pour chacun.
Vous créez sans cesse des polémiques au niveau national, et aujourd’hui métropolitain, simplement pour vous faire entendre et remarquer. Mais vos ambitions n’ont servi et ne servent en rien l’intérêt des Grenoblois. Ni ceux d’aujourd’hui, ni ceux de demain.