Monsieur le Maire,
De prime abord, nous ne pouvons que nous féliciter que vous vous attaquiez au sujet de la rénovation énergétique. Sujet essentiel tant dans son aspect social qu’environnemental.
Le problème, c’est qu’on a beau accumuler les lancements de dispositifs, on ne peut que se rendre à l’évidence : en 10 ans, nous avons bien peu progressé et les ambitions sont toujours loin d’être à la hauteur des enjeux.
Prenons par exemple le dispositif Mur Mur de la Métropole, la tête de gondole de la collectivité pour sa politique de rénovation énergétique des copropriétés et des maisons individuelles. Entre 2010 et 2021, environ 2700 logements ont été rénovés en bénéficiant de Murmur. Vous conviendrez qu’en 11 ans, sur les près de 100 000 logements que compte notre ville, c’est faiblard.
On pourrait évidemment faire mieux, mais il conviendrait pour cela de résoudre trois problèmes, que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ici et en conseil métropolitain, mais dont vous n’avez pas daigné vous saisir.
D’une part le problème de la communication. Encore trop de Grenoblois ne sont pas informés des dispositifs existants. Mais admettons qu’ils connaissent l’existence de Mur Mur, ils seront alors confrontés au problème de la lourdeur administrative : entre accompagnement, aide à l’ingénierie, plafonds de dépenses et pourcentages d’aides différenciés, programmes différents, aides des communes qui varient, bonus selon la situation… Forcément, il y a de quoi jeter l’éponge et remettre à plus tard son projet de rénovation.
Le troisième problème est sans conteste le plus gros frein à une plus large utilisation du dispositif. Les montants d’aides sont insuffisants pour véritablement inciter à la rénovation.
Car vous faites le choix d’une politique d’attribution qui, sur le papier, semble louable et pleine de bonnes intentions, mais est en réalité complètement contre productive : ceux qui peuvent espérer de bons montants sont les propriétaires modestes et très modestes. Un couple de deux personnes percevant chacune à peu près un SMIC n’est ainsi pas considéré comme modeste : c’est dire la marge d’appréciation.
Et c’est là que vous vous trompez. Vous misez tout sur le propriétaire modeste qui a bien peu de chances d’engager des travaux de rénovation car le reste à charge restera de toute façon trop élevé pour lui. C’est encore plus improbable qu’il se lance dans un tel projet maintenant que vous avez augmenté sa taxe foncière de 32%, soit dit en passant.
Une politique véritablement efficace consisterait à mettre l’accent sur l’aide à la rénovation des propriétaires de la classe moyenne, qui auraient plus de marge pour contribuer au reste à charge même si elles sont matraquées fiscalement elles aussi. Je ne comprends pas que vous persistiez avec ce fonctionnement alors qu’un recalibrage du dispositif permettrait de multiplier le nombre de logements rénovés.
On retrouve des problèmes similaires (mauvaise communication, complexité du montage, aides mal ajustées) avec le dispositif métropolitain prime air-bois. Seulement 1000 dossiers déposés en 3 ans alors que le chauffage au bois est l’une des sources de pollution de l’air les plus dangereuses !
Et nous nous retrouvons désormais avec cette délibération pour tester un programme d’expérimentation. Le fait qu’il s’articule avec les dispositifs existants est certes louable, mais les premiers éléments nous font penser qu’il souffrira, encore, exactement des mêmes freins que pour Mur Mur.
L’objectif est ici de s’attaquer aux unités de logements individuellement. Un maillage plus fin que les seules copropriétés mais avec toujours le même souci : à destination des propriétaires modestes et très modestes uniquement. Les mêmes causes produiront les mêmes effets.
Tout ceci n’est qu’une ébauche d’expérimentation. Par exemple, on ne sait pas encore quel quartier sera ciblé, puisque le projet ne concernera qu’un quartier, ce qui constitue évidemment un frein supplémentaire à une rénovation massive des logements grenoblois.
Mais je relève que l’objectif est d’accompagner 140 ménages sur 3 ans, de 2023 à 2025. Une ambition bien faible, on comprend qu’il ne faut pas s’attendre à des miracles.
Je constate aussi que la ville s’engage à mettre 100 000 euros par an pour, je cite, “la massification de la rénovation performante, globale et écologique de l’habitat des personnes en situation de grande précarité énergétique, et à déployer, via un partenariat efficace, un accompagnement renforcé des ménages en difficultés”.
Vous avez beau nous avoir habitués à ces envolées lyriques, vous conviendrez que ce n’est pas très clair : mais on comprend que cette somme ne concernera pas uniquement les rénovations, mais aussi un “accompagnement” dont on aimerait connaître le détail.
Quoi qu’il en soit, on ne peut que déplorer le manque de solidité de votre bouclier social et climatique. 100 000 euros par an pour ce sujet ô combien essentiel, soit à peu près le prix de votre célébrissime toilette à éolienne parc Paul Mistral, mais aussi 2x moins que ce que vous avez dépensé pour votre sculpture en bois restée quelques mois à l’esplanade, et je ne vous fais pas l’affront de parler des sommes colossales engagées pour des cérémonies et de la communication autour de “capitale verte”.
Bref, ce programme d’expérimentation se profile d’ores et déjà comme un futur acte manqué. Un de plus. Ça commence à faire beaucoup.