Monsieur le Maire,
En novembre 2020, les élus siégeant à la commission d’appel d’offres découvraient que les travaux du centre de santé de la place des géants étaient à l’arrêt depuis des mois.
Le maître d’œuvre et l’architecte avaient en effet démissionné de leurs fonctions suite à des agressions, y compris avec armes de poing. Les ouvriers avaient également été victimes d’insultes et d’intimidations inquiétantes. À cela s’ajoutaient les vols et les dégradations incessantes.
Dominique Spini, élue de notre groupe, avait alors interpellé vos adjoints à ce sujet. Mais “circulez, y’a rien à voir” : le sujet avait été balayé, et Madame Spini s’était vue expliquer que sa question n’était pas recevable et n’avait pas lieu d’être.
Puis les travaux ont repris avec une société de gardiennage : nous vous posons la question de savoir si la municipalité a composé avec les mafias, et pourquoi elle n’a pas déposé de plainte à ce moment-là ?
Par la suite, à de nombreuses reprises en conseil municipal, nous vous avons alors alerté sur ce blocage causé par la délinquance. Sans jamais obtenir de réponse de votre part, sans jamais que vous ne fassiez preuve de la moindre volonté de vous occuper du problème.
Le sujet n’était donc pas nouveau lorsque le 4 avril 2022, déjà, le site Grenoble le Changement révélait que des engins de chantier étaient incendiés à proximité de Grand Place, et se saisissait du sujet avec un article au titre évocateur. Je cite : “les mafias veulent contrôler les chantiers de GrandAlpe”.
Puis un an et demi plus tard, le 27 novembre dernier, ce même blog a tiré à nouveau la sonnette d’alarme. Il a révélé que les chantiers de voirie à proximité de Villeneuve et de Grand Place, dans le cadre de votre projet d’aménagement GrandAlpe, étaient à l’arrêt.
Menacées, rackettées, et il y a même eu un employé molesté : les entreprises ont tout simplement renoncé à poursuivre, contraintes par la loi des caïds qui ont pris le pouvoir sur ces chantiers.
L’information a cette fois été reprise massivement. Des médias locaux, puis nationaux, en ont parlé.
Le Dauphiné a ainsi expliqué que « ce système s’est imposé de façon quasi généralisée en quelques années dans la région grenobloise, et pas seulement dans les quartiers sensibles« . Les entreprises du BTP évoquant de leur côté « une spécificité grenobloise« .
Le Procureur de la République a lui aussi pris la parole. Au micro d’Europe 1, il a dénoncé, je cite, un « système tout à fait mafieux (…) comme dans les films américains sur la mafia : soit tu payes soit tu ne peux plus travailler« .
Puisqu’on en est aux analyses cinématographiques, on ne peut que constater que la réalité dépasse un peu trop souvent la fiction à Grenoble. Au micro du regretté Jean-Pierre Elkabach sur CNEWS, on se souvient de vous affirmant que “c’est dans les films qu’on voit les policiers poursuivre les gens avec des pistolets”. Quelques semaines seulement avant une course-poursuite entre la police et des voyous armés, avec tir de balle sur le trajet de Saint-Bruno à la Villeneuve.
Après les scènes ambiance western, nous en sommes désormais aux films de mafia à la Scorsese. C’est peut-être parce que tout cela semble effectivement trop irréel que vous refusez de vous occuper du sujet, et que l’une de vos adjointes va même jusqu’à qualifier l’insécurité de “fantasme”.
Mais nous sommes bien dans la vraie vie. Et la réalité, Monsieur le Maire, c’est que dans de nombreux quartiers, la délinquance a pris le pouvoir.
C’est le cas pour ces chantiers de travaux publics, où les projets de la collectivité et l’activité des entreprises dépendent du bon vouloir de bandes mafieuses.
Notons au passage que vous n’avez pas daigné vous exprimer à propos de ces rackets et de ces chantiers stoppés. Le sujet méritait pourtant une expression publique du Maire, premier officier de police judiciaire de la ville, qui communique d’ailleurs abondamment sur son projet GrandAlpe… pourtant à l’arrêt.
Car pour que les Grenoblois comprennent bien de quoi il en retourne, soit les travaux sont stoppés et plus aucun projet ne voit le jour, soit pour poursuivre il faut payer les prestataires que les délinquants désignent… et c’est donc l’argent de la collectivité, le fruit de l’impôt du contribuable, qui termine dans les poches des mafias. Ce n’est pas un “fantasme”, c’est la cruelle vérité.
Mais cette délinquance a aussi pris le pouvoir dans ces espaces occupés par les dealers. Nous avons dans ce conseil déjà longuement évoqué les cas de Hoche, de Saint-Bruno, de Villeneuve, de l’Alma, ces secteurs où le quotidien est devenu invivable pour nombre de Grenoblois… Je citerai simplement l’exemple de Mistral avec la salle polyvalente.
Cette salle municipale est occupée par les délinquants, qui en ont fait une annexe de leur business. Ils empêchent les habitants, les associations, notamment les clubs de personnes âgés, de s’y retrouver et d’en profiter.
Je vous ai interpellé à ce sujet lors du dernier conseil municipal. Je vous ai demandé très clairement si vous aviez ne serait-ce que porté plainte, car il s’agit d’une salle propriété de la ville je le rappelle ; vous avez botté en touche, fui le sujet, et nous avons bien saisi que vous n’aviez évidemment rien fait.
À la longue, on connaît vos éléments de langage : vous êtes “en lien” avec les services de l’État, vous parlez de temps à autre “d’aménagements” (comme si l’aménagement des abords de la bibliothèque Saint-Bruno allait permettre d’endiguer le trafic), et vous érigez en figure de proue de votre politique de lutte contre la délinquance… des spots vidéos censés sensibiliser les consommateurs mais visionnés par à peu près personne.
En constatant ce volontarisme décoiffant, chacun a bien compris que vous ne faites plus aucun effort pour faire croire que ces bandes délinquantes qui font régner leur loi vous préoccupent.
Chacun a bien compris qu’il n’y a plus rien à attendre de vous, à deux ans de la fin de votre mandat, pour engager quoi que ce soit pour la sécurité des Grenoblois, en matière de vidéoprotection, de renforcement et d’armement de la police municipale… Tout comme chacun a bien compris qu’on ne peut pas compter sur vous pour revoir votre politique d’attribution de logements catastrophique, votre politique d’urbanisme qui crée des nasses et entretient la délinquance, et votre politique socioculturelle qui a consisté à torpiller les structures d’éducation populaire qui fonctionnaient bien.
Sur les deux tableaux, prévention et répression, vous avez échoué et nous ne vous imaginons aucunement redresser la barre dans le peu de temps qu’il vous reste aux commandes. Mais vous pourriez au moins faire preuve d’un minimum d’efforts, Monsieur le Maire.
Car dans tous ces dossiers, qu’attendez-vous, en tant que premier magistrat, premier officier de police judiciaire de Grenoble, pour porter plainte avec constitution de partie civile contre les bandes mafieuses qui pourrissent la vie des Grenoblois et paralysent les projets de notre ville ?
Ce simple geste ne vous coûterait rien, permettrait de mettre la ville en action aux côtés de l’institution judiciaire, de demander des investigations, de faire entendre des témoins. Il donnerait le signal fort à la délinquance que vous ne passerez plus par elle et rassurerait les Grenoblois en montrant que vous ne les abandonnez plus face à elle.
Je vous remercie.