Lors de la dernière commission « émancipation », j’ai, encore une fois, montré quelle était ma naïveté, en pensant que le nouveau projet du théâtre municipal était lié au fait que, comme nous, vous aviez constaté que le nombre de spectateurs était devenu tellement minime que vous aviez décidé de redresser la barre ! Et bien non ! Il s’agit de continuer dans la même direction en pire ! Et surtout en enfermant encore tout ce qui peut l’être…
Vous osez dire, dans le titre « que le théâtre est en soutien aux artistes et à destination de tous les publics » déjà deux contre-vérités ! En soutien aux artistes, laissez-moi rire ! En soutien aux deux ou trois compagnies associées, à n’en pas douter ! Mais les « artistes » ne se résument pas aux artistes de ces compagnies, loin s’en faut ! Et les autres ?
Je reviens donc à votre tire : A destination de « tous les publics », c’est grotesque ! Depuis que vous êtes aux manettes, 90% du public a déserté le théâtre ! Je vous redonne les chiffres : au cours de la saison 2002-2003, 53 797spectateurs, au cours de l’année 2022, plus que 4 774 !
Vous commencez par un petit historique du théâtre, observé avec les œillères dont vous êtes coutumiers !
Alors je vais reprendre cet historique ! Vous dites : « Avant l’arrivée de la municipalité actuelle, le Grand Théâtre proposait une programmation essentiellement tournée vers le théâtre faisant la part belle aux acteurs et actrices connus. Il s’agissait d’un théâtre de diffusion de productions du secteur privé, financé par de l’argent public… » Il se trouve que ce dont vous parlez, a effectivement existé, après le départ de Guy Sisti. En effet au cours de cette triste période, pendant laquelle le théâtre a commencé à perdre un grand nombre de spectateurs, une bonne partie de la programmation privée était financée par de l’argent public (en moyenne, sur une dizaine d’années de l’ordre de 40 %). La personne responsable de cet échec était, si j’en crois les rumeurs, arrivée là un peu par hasard… Un autre directeur avait, semble-t-il, à l’époque était pressenti, mais pour des raisons, disons politiques, c’est cette personne qui a été imposée comme directrice… Elle est la première, et si je ne m’abuse, la seule, à avoir réussi à coaliser tout le personnel du théâtre contre elle, au cours d’une grève mémorable, à cause de sa gestion calamiteuse, aussi bien sur le plan humain que sur le plan artistique.
A l’époque, il semble que la municipalité avait le projet de fermer ce théâtre, considérant que la nouvelle MC2 suffisait, mais qu’à cause des réactions de beaucoup de Grenoblois, comme moi, attachés au théâtre, la municipalité de l’époque aurait renoncé à une fermeture frontale… Il ne faut quand même pas oublier qu’en 1768, c’est une souscription volontaire pour établir une « Académie de Musique permanente, composée de sujets nécessaires à un bon concert, un opéra bouffe et quelques comédies » qui seraient exécutées toute l’année. Les fonds furent rapidement réunis et le théâtre ouvrit ses portes la même année. Il était donc, à la base, celui des Grenoblois et non celui de Grenoble et encore moins l’outil d’une municipalité idéologue ! Tâchez de vous en souvenir !
Bref, en choisissant cette direction, ils avaient trouvé une solution qui équivalait à le faire mourir à petit feu. Dans ce but, pour commencer, les abonnements avaient été supprimés… Et ça a été le début de la fin ! Pour les troupes locales aussi, car jusque-là, enfin jusqu’au départ de Guy Sisti, elles bénéficiaient de l’audience très importante du théâtre, les abonnés pouvaient non seulement prendre des places pour les spectacles programmés par le théâtre, mais également pour ceux proposés par les associations locales ! Mon association, qui présentait des spectacles lyriques, en a fait les frais, comme les autres ! Avant, 50% du remplissage était réalisé par les abonnements et avec notre propre communication, nous complétions… Après la disparition des abonnements, nous n’arrivions quasiment plus à dépasser 50% de remplissage… Les frais de locations du théâtre ayant parallèlement beaucoup augmenté, nous avons dû, la mort dans l’âme, renoncer à nous y produire… Combien d’autres associations locales ont-elles vécu la même chose ? Beaucoup, c’est certain !
Vous étiez vous-même conscient du problème, monsieur le Maire, puisque, au début de votre premier mandat, lors d’une entrevue que vous m’aviez accordée, en tant que présidente d’association, vous m’aviez avoué que vous ne fréquentiez plus le théâtre depuis que les abonnements avaient disparu… Mais, le moins qu’on puisse dire, c’est que vous et vos équipes, n’avez pas apporté de solution à cet état de fait, et cela, visiblement, ne va pas aller en s’arrangeant, bien au contraire !
Je reviens maintenant à votre introduction dans laquelle vous dites que le Théâtre 145 et le Théâtre de Poche avaient, pendant plusieurs années, été confiés par la ville à un collectif d’artistes… Vous qui vous targuez de faire un théâtre en soutien aux artistes, pourquoi ne leur avez-vous pas laissé la gestion de ces théâtres, alors que c’était une magnifique réussite ? Surtout, que vous dites un peu plus loin qu’en 2016, en reprenant la gestion de ces salles, la municipalité a repris « en partie » le projet du Tricycle ! Donc vous avez repris la gestion de ces salles pour faire un peu la même chose, mais en moins bien, avec votre idéologie en trame incontournable, ce qui a fait que là aussi, le public a déserté !
Comme vous semblez avoir la mémoire courte, ou pour le moins sélective, je vais, encore une fois, mais avec un peu plus de détails, vous rappeler ce qu’était le théâtre du temps de Guy Sisti, tel que les municipalités Carignon l’avaient voulu. Tout d’abord, jamais l’argent public n’a financé un seul spectacle du théâtre de Grenoble durant les 15 saisons qu’il a organisées. Seule la logistique, bâtiment et personnel était à la charge de la ville.
La ville ne versait aucune subvention pour la programmation artistique, ce qui n’était pas le cas avant son arrivée et après son départ. De ce fait, il était souvent en excédent de gestion, ce qui permettait d’investir dans des moyens techniques.
La totalité de la programmation artistique et tous les frais (droits d’auteurs, déplacements, hôtels, repas…) et la communication étaient totalement couverts par les recettes de la billetterie. Le Ministère de la Culture avait même indiqué, à l’époque, que c’était le seul théâtre municipal en France qui possédait une telle économie !
Lorsque vous dites que le « Grand Théâtre » proposait, avant votre arrivée, une programmation essentiellement orientée vers le théâtre, ce n’était pas vrai, à son époque, il ne s’agissait pas que de théâtre mais de danse classique avec des grands ballets de dimensions internationale (deux titres chaque saison), d’opéra (deux œuvres chaque saison), de comédies musicales. Il y avait même des conférences dans la programmation.
Oui, le Grand Théâtre accueillait des têtes d’affiche et des spectacles prestigieux, qui faisaient le bonheur de beaucoup de Grenoblois, car les « têtes d’affiches » étaient de grands comédiens, de grands auteurs parmi les plus prestigieux et leur présence permettait de valoriser le travail des compagnies locales, qui, comme je l’ai déjà dit, faisaient partie de la même programmation, et permettait de leur apporter du public.
Quelques noms pour nous faire rêver…
Pour le Théâtre : Jean MARAIS, Edwige FEUILLERE, Claude BRASSEUR, Claude RICH, Danielle DARRIEUX, Michèle MORGAN, Georges WILSON dans Henri IV de Pirandello, Robert HOSSEIN, Laurent TERZIEF, Fabrice LUCHINI, Jean-Paul BELMONDO, André DUSSOLIER, Philippe NOIRET, Michel BPOUQUET…
Pour l’Opéra : Ruggero RAIMONDI, Montserrat CABALLE, Wilhelmenia FERNANDEZ, Barbara HENDRICKS, le Théâtre Lyrique de Milan…
Pour la Danse : Le Ballet du Bolchoï, Le Ballet de l’Opéra National de Kiev, Le Ballet National de Marseille, le New York Harlem Théâtre, Le Ballet Opéra National de Vienne….
Et tout cela, je le répète, avec aucun financement artistique public…
Alors que vous, vous faites « la part belle aux œuvres contemporaines sans vous interdire d’accueillir quelques classiques revisités ! » Et des classiques non revisités ? Non ? Jamais ? Vous voulez vraiment créer un monde nouveau, à votre image ! Permettez-moi de vous dire que votre monde est non seulement complètement étriqué, mais aussi d’une tristesse incommensurable !
J’en profite pour citer quelques courts passages d’une intervention récente de Luc Ferry :
« Il y a toute une tradition qui remonte à Rousseau, qui est une tradition de sacralisation de la nature et donc de haine de la Culture. Sous la sacralisation de la nature, il y a une haine de tout ce qui est artificiel et donc l’Art comme art humain, comme art artificiel est détesté.
Si on obéissait à la nature, la nature c’est Darwin, c’est l’élimination des handicapés, des vieux, des malades, des faibles! On a corrigé tout ça, c’est artificiel, comme tout ce qu’on a inventé de grandiose, et l’art évidemment est grandiose !
La démocratie est très anti naturelle, c’est d’ailleurs pour ça que les nazis la détestent ! Ce n’est pas un hasard si Hitler va commander trois lois écologiques majeures, la loi sur la protection des animaux, la loi sur la protection de la nature et la loi sur la chasse !»
Mais revenons à Grenoble : parce que ce dont vous semblez si fiers, vous ne l’avez pas inventé ! De 1990 à 2004, bien sûr qu’existaient l’accueil et la résidence de troupes locales, de dimensions proportionnées à la salle, de 800 places à l’époque : Rénata Scant (Théâtre Action), Jean-Vincent Brisa, Serge Papagalli, Yvon Chaix, Mohamed Boumeghra, Chantal Morel… Ces compagnies créaient leurs spectacles au théâtre et le jouaient deux ou trois semaines, souvent à guichet fermé, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Le théâtre accueillait également les deux compagnies d’Opérettes locales et toutes les écoles de danse de Grenoble et de l’agglomération avec leurs élèves.
Les festivals locaux étaient accueillis comme Musée en Musique, les arts du récit, le jazz… Un véritable équilibre de disciplines artistiques, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui !
Quand on vous dit que les compagnies locales bénéficiaient de l’attrait des autres spectacles, c’est l’évidence même !
Vous parlez des ateliers Décors et costumes, mais bien sûr qu’à l’époque, ils travaillaient pour toutes les compagnies qui en avaient besoin. Rien de nouveau donc, sinon le rétrécissement habituel !
Le théâtre accueillait également des étudiants de toutes disciplines autour du spectacle, des visites du théâtre étaient organisées avec des groupes scolaires et ils pouvaient être accueillis pas les artistes en résidence pendant leurs répétitions.
Il y avait également des journées portes ouvertes pour la population.
Pour ce qui concerne les publics prioritaires :
Parmi les quelques 8 000 abonnés il y avait 14,03% d’ouvriers-employés-chômeurs, dont 4,46% de chômeurs ou sans activité salariée, lorsque la Maison de la Culture, à l’époque, ne dépassait pas les 1,5%.
Puisque je parle de chiffres, en voici quelques-autres :
De 1990 à 2001, les recettes de la billetterie ont été en moyenne de 1 000 000€ par an, alors que les dépenses s’élevaient en moyenne à 940 000€ par an, ce qui faisait un résultat positif d’environ 60 000€ par an ! Cela permettait, comme je l’ai dit plus haut d’investir dans des moyens techniques !
Par contre, avec vous… Déjà, il est difficile d’y comprendre quelque chose, puisque, par exemple, page 8 vous parlez d’un budget artistique de 405 670€ pour 2023, et page 20 dans la « ventilation du budget artistique », il n’est plus que de 314 158…
J’ai eu beau chercher, je n’ai vu nulle part combien les places vendues avait rapporté… mais peut-être ai-je mal vu… Quoi qu’il en soit, j’ai fait mon petit calcul à la louche… Le tarif évoluant entre 5 et 16€, j’ai pensé qu’une moyenne de 12€ était plus que raisonnable, car je parierai que le nombre d’invitations est lui, plus que conséquent. Donc en 2023 vous avez enregistré un peu plus de 10 000 entrées avec les 3 salles, ce qui ferait environ une recette 120 000€, certainement moins. Si je retranche ces 120 000€ aux 400 000 du budget artistique, cela signifie qu’en 2023, vos spectacles ont au moins coûté 280 000€ d’argent public !!! De l’argent public dont la majorité des Grenoblois ne bénéficient pas, comme d’habitude ! Bravo !
Il y a d’autres chiffres « bizarres » dans votre document : page 27, pour la saison 2022/2023, je vois qu’il y a eu, au Grand Théâtre, 13 spectacles avec 22 représentations. Vous annoncez que la jauge offerte est de 7329 places… Pourtant le Grand Théâtre compte 600 places, donc 600 X 22 cela fait 13200 et non 7300 ! Donc avec 5 741 places vendues, vous annoncez un taux de remplissage de 78,33%, moi, j’annonce un remplissage de seulement 43,49% ! Comment expliquez-vous cela ?
Alors, oui, la gestion de la période Sisti était exemplaire, contentait énormément de Grenoblois et les spectacles n’utilisaient pas un centime d’argent public, pas comme avec vous qui n’attirez plus grand monde, c’est le moins qu’on puisse dire, pour voir des spectacles, qui bien que soi-disant ouverts à tous, ne donnent pas envie, ni au public éloigné de la culture, ni à ceux qui autrefois fréquentaient assidument ce lieu et qui maintenant, soit, s’ils en ont les moyens, vont voir les spectacles qui leur plaisent ailleurs en France, ou s’il n’en ont pas les moyens ne vont plus du tout au théâtre !
Votre verbiage, votre bla-bla, vos grandes phrases qui parfois enfoncent des portes ouvertes cachent difficilement une politique où l’art n’est pas au centre du projet, ce qui est au centre ce sont les directives idéologiques pour contraindre les artistes à créer dans des directions bien précises.
En parallèle, vous affaiblissez le socio-culturel, en fermant par exemple le Plateau à Mistral, et en n’ayant jusque-là, rien proposé aux jeunes du quartier pour compenser, sinon de fausses promesses ! Le socio-culturel doit être une politique, une autre politique, complémentaire de la Culture…
Les quelques compagnies associées qui bénéficieront de ce projet devront se conformer aux directives politico-artistiques de la ville.
Mais la liberté artistique ne supporte aucune idéologie.
Il faut placer les artistes et leur liberté au centre d’un projet culturel, une fois que cela est fait, est dit, on organise la médiation y compris en direction de publics « prioritaires » bien sûr !
Si l’on considère la « création artistique » alors ce projet et à l’envers.
En lisant ce texte j’ai la conviction que les artistes et leur liberté, que l’art tout simplement gène les rédacteurs du projet. Cette liberté empêche l’idéologie.
Ils essaient de contourner les artistes et la création en permanence pour leur « opposer », le social qu’on ne fait pas les publics prioritaires qu’on n’atteint jamais, les orientations idéologiques de la ville.
La démagogie est également, partie intégrante, comme par exemple cet article :
« Le TMG pourrait mettre en place un comité́ d’usagers, impliqué dans la vie du lieu. Ce comité́ pourrait être force de propositions dans la programmation, dans le choix des actions en lien avec les artistes, dans la communication… » Quand on sait combien vous respectez la parole des citoyens, enfin de ceux qui ne sont pas vos amis, on sait que rien en pourra en sortir, que ce que vous aurez décidé, comme d’habitude !
Lors de la Commission dans laquelle cette délibération a été évoquée, il a été répondu à Madame AGOBIAN, qui s’interrogeait sur le fait que l’esthétique proposée par le théâtre, ne correspondait pas aux goûts de tous, « qu’en termes de priorité et de mobilisation des moyens publics, l’objectif est de favoriser l’accès à tous publics aux créations de spectacle vivant, et non de subventionner la diffusion de pièces déjà créés. Auparavant, la Ville prenait un risque financier pour les tourneurs privés, avec des prix de places souvent élevés. A cet égard, il n’y a aujourd’hui pas de sollicitation de tourneur privé souhaitant louer le théâtre. » Vous nous dites que vous ne souhaitez pas louer le théâtre aux tourneurs privés ou que les tourneurs privés ne souhaitent pas louer le théâtre ? Ce ne serait pas étonnant qu’ils le désertent aussi, tout comme les spectateurs grenoblois !
Je reprends la suite de la réponse à Mme Agobian : « Par ailleurs, la diffusion de pièces issues du théâtre privé peut se faire dans d’autres salles (ex : comédie de Grenoble). » Non mais franchement ! De qui vous moquez-vous ? Vous comparez le théâtre et ses 600 places à la Comédie de Grenoble et ses 49 places ! C’est pathétique !!!
Vous dites « Le TMG est implanté sur un territoire richement doté en structures culturelles. L’objectif est donc de se positionner en complémentarité de la programmation des autres équipements » Avec ses 600 places, le Grand Théâtre ne devrait donc pas venir en complémentarité des autres salles mais être un phare… Hélas depuis longtemps déjà, il n’a plus de lumière…
En fin de ce projet vous évoquez des bâtiments vieillissants avec des fuites, des bâtiments mal ou pas isolés, des installations électriques vieillissantes, etc… Vous envisagez des travaux au Théâtre 145 car c’est celui qui correspond aux besoins du projet actuel… Cela me fait craindre le pire pour notre Grand Théâtre…
En conclusion, je dirai que ce projet n’apporte rien et n’apportera rien aux Grenoblois, si ce n’est des dépenses supplémentaires qui ne bénéficieront aucunement aux publics éloignés de la culture, car ils n’y viendront pas ! Ce sera un échec de plus à mettre à votre passif, qui est pourtant déjà bien lourd !